DROITS DE L’HOMME ET DEMOCRATIE

Publié par gustave trevaux

Le texte ci-après présente une réflexion sur le thème de la relation entre Démocratie et droits de l'homme à partir d'une compilation de sources dont on trouvera la liste à la fin du document

Le titre proposé semble suggérer qu’entre les droits de l’homme et la démocratie, il existerait une relation d’antériorité voire de  causalité.

Le propos est en réalité plus complexe, nécessitant une exploration historique approfondie. La démocratie renvoie au gouvernement d’ATHENES amplement décrit et commenté par PLATON et ARISTOTE notamment. La question des droits de l’homme renvoie au siècle des Lumières et à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ; amplement précédée par les travaux de ROUSSEAU, MONTESQUIEU et autres philosophes des Lumières.

Depuis la fin des années 1990, nombre d’auteurs se sont penchés sur l’évolution de la démocratie libérale ce terme désignant le système de gouvernement des peuples alliant démocratie et libéralisme, tout en ménageant un distinguo entre libéralisme économique et libéralisme politique.

Schématiquement la société humaine est organisée à partir des droits conférés ou non à la population la constituant, laquelle jouit ou non de libertés fondamentales tant dans le domaine politique qu’économique, étant observé que le libéralisme économique confère un pouvoir aux agents ayant pris en charge le fonctionnement de l’économie du pays.

L’émergence de nouvelles formes d’organisation démocratique des états avec l’avènement de nouveaux « souverainistes » - Pologne, Hongrie, USA, Turquie, Brésil entre autres- met en lumière l’éloignement de plus en plus grand entre la tentation du repli sur soi et celle de la coopération internationale, ce que d’aucuns nomment isolationnisme d’une part et multilatéralisme d’autre part.

Pour ma part j’y verrai plutôt l’illustration de la dissociation entre la volonté d’être soi chez soi et celle d’être soi avec les autres, en quelque sorte une forme d’individuation du concept de la démocratie qui se transforme sous l’effet de la puissance de transformation des rapports dans la société entre les politiques et la population par l’intermédiaire des nouveaux modes de communication et de la maîtrise toujours plus sophistiquée des données qu’ils génèrent – voir l’affaire Cambridge Analytics entre autres.

Cette influence grandissante des nouveaux moyens de communication et leur intérêt pour la conquête du pouvoir avait été notée dès l’élection présidentielle de 2007.

Bernard STIEGLER dans « La télécratie contre la démocratie » (STIEGLER, 2008) démontre comment l’évolution des médias qu’il s’agisse de l’audiovisuel ou des réseaux sociaux sont utilisés pour modifier les comportements des individus en agissant notamment sur la capacité d’analyse critique des informations. De fait le temps médiatique implique une réaction immédiate à toute information ou supposée telle sans que le récepteur prenne le temps de la vérification et de l’authentification. Les récents développements des enquêtes sur l’influence supposée de puissances étrangères sur le résultat de scrutins dans divers pays (USA, Grande Bretagne, Allemagne) interrogent sur la capacité de résistance du corps électoral à la puissance de ce matraquage d’informations destinées à orienter ses choix.

A la même époque Jacques GENEREUX dans « La dissociété » (GENEREUX, 2006) portait un regard approfondi sur la transformation profonde de l’individu de plus en plus écartelé entre ses deux fonctions ontologiques « être soi et pour soi » et « être avec et pour les autres ». Cette dissociation est « le processus d’organisation de l’espace, des institutions et des relations qui décompose une société humaine, d’une part, en déliant, isolant et opposant des communautés ou catégories sociales relativement homogènes et, d’autre part, en installant et exacerbant la rivalité entre les individus composant ces communautés ou catégories sociales »

Dès 1997, un journaliste et politologue américain, Fareed ZAKARIA[1]proposait une nouvelle analyse pour caractériser les États où se tiennent des élections  mais où certains éléments constitutifs de la démocratie libérale sont manquants.

Son analyse repose sur le fait que la démocratie se confond avec la démocratie libérale, qu’elle est fondée sur des élections libres mais aussi sur une presse libre et la liberté d’expression. Le libéralisme constitutif de la démocratie incluait les deux composantes politique et économique.

Pointant une crise de la démocratie, il réactivait la notion d’illibéralisme pour désigner ce qu’on désigne aujourd’hui par l’expression de montée des populismes. En réalité des Etats dans lesquels les élections subsistent, plus ou moins libres, donnant des majorités à des pouvoirs autoritaires, et à propos desquels on peut débattre sur le caractère formel ou réel des libertés démocratiques.

A partir de ces trois présupposés peut-on décrire quelques-unes des caractéristiques des menaces qui pèsent sur la démocratie en ce début du 21ème siècle ?

La prise de conscience de l’existence de la menace intervient dès lors qu’arrivent au pouvoir des élus issus de mouvements qualifiés de populistes. Cette conscientisation repose sur la négation – ou la sous-estimation – de l’existence de fractures dans le corps électoral ayant créé des groupes sociaux entre lesquels s’établissent des rapports de force. La tenue d’élections libres apparemment régulières est à l’origine de ces régimes qui mettent ensuite en œuvre le programme pour lequel ils ont été élus.

Les atteintes à la liberté de la presse ou à l’indépendance de la justice comme la réduction constante des droits de l’opposition et des prérogatives de la société civile sont le prix de la légitimation populaire par les urnes (FOESSEL, 2018).

Pour la POLOGNE les origines de cette dérive autoritaire sont à chercher dans la transition de 1989 et dans les enjeux de la décommunisation. (TARTAKOWSKI, 2016)

Petit rappel des faits, le Parti communiste, discute avec les dirigeants du syndicat Solidarité en février 1989 les conditions d’une forme d’association au pouvoir. L’Accord dit « de la table ronde » aboutit aux premières élections semi-libres depuis la prise du pouvoir de l’après-guerre. En juin, l’opposition : Solidarité rafle tous les sièges disponibles pour une compétition ouverte. Dès le mois d’août, est formé, sous la direction de Mazowiecki, le premier gouvernement non communiste du Bloc soviétique.

Aujourd’hui, c’est précisément ce compromis destiné à éviter les affrontements, qui est à présent reproché aux héritiers de la transition (COUTURIER, 2016)

Depuis, toute sorte de courants d’extrême droite n’ont cessé d’accuser les négociateurs de l’époque et leurs héritiers politiques d’avoir été de mèche avec les communistes. Le mythe du « complot des élites » resurgit régulièrement.

Après une première vague de décommunisation de l’administration, les responsables étant contraints de prouver leur absence de coopération avec les autorités communistes en place jusqu’en 1989, de nouvelles attaques sur fond de contestation de l’Union Européenne sont en cours.

La première marque de la dérive autoritaire du nouveau pouvoir hégémonique a été l’atteinte à l’indépendance de la Justice par le vote d’une loi en 2015 autorisant la Diète (le parlement polonais) à choisir cinq nouveaux juges, lesquels sont, eux, immédiatement investis par le président dans leurs fonctions.

Sur le front des médias, la «petite loi sur les médias», votée le 30décembre 2015, change radicalement les règles de désignation de la direction et du conseil de surveillance des médias publics. Jusqu’alors, leurs membres étaient choisis par le Conseil de radio-télévision d’État (KRRiT). Désormais, ils relèvent de la compétence du ministère du Trésor public. Les mandats des membres actuels s’arrêtent d’ailleurs au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et les membres de ces organes peuvent être à tout moment révoqués par le ministre. Le KKRiT ne sera plus consulté sur d’éventuels changements de statuts des entreprises publiques de médias. De surcroît, il est évincé des décisions majeures liées aux médias publics.

La loi sur la police, dite «loi de surveillance», entrée en vigueur le 7février 2016. Elle étend les compétences de la police et d’autres services assimilés, notamment dans le domaine de surveillance sur Internet, de manière quasi automatique. Sans trop aller dans les détails, disons qu’elle le fait dans des termes tels que le médiateur de la République, le Conseil judiciaire d’État, l’inspecteur général de protection des données personnelles, le Conseil de l’ordre des avocats d’État, le Conseil de l’ordre des conseillers juridiques d’État, ainsi des associations comme la Fondation Helsinki Pologne, la Fondation pour l’action démocratique ou la Fondation Panoptykon, ont manifesté leur désaccord total avec un texte qu’ils qualifient unanimement de « liberticide », tant il ouvre la porte à des dérives importantes, au nom de la lutte contre la criminalité.

Ainsi la démocratie peut être menacée par l’hégémonie d’un parti accédant régulièrement au pouvoir et qui une fois élu marque son hostilité à l’état de droit, son refus de l’ordre établi et assoit son autorité par des atteintes aux libertés (presse, information, communication…)

En HONGRIE, la très large victoire du parti de Victor ORBAN qui a recueilli 49% des voix avec une forte participation semble trouver son origine dans l’exploitation des peurs de la société hongroise. (Hunyadi, 2018). Selon ce politologue qui travaille pour le think tank libéral Political Capital, le parti FIDESZ pour se maintenir au pouvoir présente la HONGRIE comme victime d’ennemis puissants que sont tour à tour l'Union européenne, les migrants et demandeurs d'asile, les organisations non-gouvernementales (ONG), les militants d'opposition, ou encore George Soros.

L’existence de ces boucs émissaires justifie alors le renforcement du contrôle sur la vie politique et la déconstruction de l'État de droit, en réduisant au silence les acteurs indépendants que sont les magistrats indépendants, les ONG, les médias qu'il ne contrôle pas encore.

En Hongrie, aussi,  l’histoire nationale est l’objet de manipulations et le passé fait l’objet de reconstructions éminemment politiques. Ainsi, le gouvernement a créé son propre institut de recherches historiques, Veritas. Celui-ci procède à une odieuse réhabilitation du régime fascisant de l’amiral Horthy, allié de l’Allemagne nazie.

Au BRESIL, Bolsonaro propose une interprétation de la démocratie qui marie libéralisme économique et autoritarisme prétorien (Kourliandsky, 2018). Par l’un, il entend la privatisation des entreprises d’Etat pour réduire la dette publique de 20 %, l’équilibre budgétaire dès la première année, une baisse d’impôts pour ceux « qui paient beaucoup et donc la révision des dépenses sociales ». Quant à l’autoritarisme prétorien, il repose sur un recours maximal à la violence de la puissance publique. Au nom de la légitime défense, le port d’armes sera généralisé.

On notera que l’une des premières mesures du nouveau pouvoir est de mettre en place une épuration de l’administration visant les agents contractuels sur des critères idéologiques.

Bibliographie

COUTURIER, B. (2016, octobre 12). Démocraties illibérales 3) : La réécriture de l'histoire nationale. Récupéré sur franceculture.fr: https://www.franceculture.fr

FOESSEL, M. (2018, mars 5). La « démocratie illibérale » n’existe pas. Récupéré sur AOC média: https://aoc.media

GENEREUX, J. (2006). La dissociété. Paris: Seuil.

GUERLAIN, P. (2018, octobre 8). Démocratie : libérale, illibérale,empechée. blog.mediapart.org.

Hunyadi, B. (2018, avril 9). Viktor Orban exploite les angoisses de la société hongroise. (L. P.-L. BAROCHEZ, Intervieweur)

Kourliandsky, J.-J. (2018, octobre 26). Bolsonaro propose une interprétation de la démocratie qui marie libéralisme économique et autoritarisme prétorien. Récupéré sur Le Monde: https://www.lemonde.fr

MAKONNEN, D. (2016, février 1). La catastrophe qui arrive, une "démocratie illibérale" à la française. Récupéré sur HUFFPOST: https://www.huffingtonpost.fr

STIEGLER, B. (2008). La télécratie contre la démocratie. Paris: Flammarion.

TARTAKOWSKI, E. (2016, mai 18). La Pologne, de mal en PiS. Récupéré sur La vie des idées: https://laviedesidees.fr

 

[1] Fareed Rafiq Zakaria, né le 20 janvier 1964 à Bombay, est un auteur et journaliste américain d'origine indienne. Il est spécialisé dans les relations internationales, le commerce international et la politique étrangère des États-Unis.

 

Publié dans Société

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